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« Tale Of the Tape » de GET OPEN

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C.E.O HELL SINKY, author, journalist, documentary

Avec Nicolas Milteau, le réalisateur du clip

Monteur expérimenté de cinéma, Nicolas Milteau passe à la réalisation pour la première fois avec le clip choc « Tale of the Tape » sur les violences policières aux Etats Unis et nous explique sa démarche artistique. Discussion croisée avec le groupe new yorkais engagé Get Open.

Nicolas Milteau, « Tale of the Tape » est votre premier clip en tant que réalisateur ?

Nicolas Milteau : (rires) Oui, c’est même ma première réalisation tout court ! Je suis monteur de films documentaires et de fiction, parfois de clips, mais là c’est la première fois que j’ai carte blanche pour tout décider de A à Z.

Kiambu (Get Open) : La première fois que j’ai vu le clip de Nicolas, je ne pouvais plus bouger ni respirer. Je pleurais avant la fin, parce qu’il a vraiment tout capté de ce que nous voulions exprimer et comment ce moment hystérique allait brûler dans nos mémoires pour toujours, parce que ces images là, nous étions forcés de les subir tous les jours.

Siba (Get Open) : Lorsque j’ai découvert le clip de Nicolas pour la première fois, cela m’a littéralement bouleversé. En tant qu’un des blancs du groupe, cela m’a touché pour mes amis Von et Kiambu qui subissent le racisme tous les jours dans ce pays. Le clip m’a révolté, m’a donné la rage encore plus, mais cela m’a donné également de l’amour pour toutes les personnes qui font des choses merveilleuses dans le sillage de ce mouvement de protestation du Black Lives Matter.

Pourquoi se lancer dans la réalisation du clip « Tale of the Tape » ?

Nicolas Milteau : (rires) Le morceau m’a beaucoup parlé. L’idée de départ était de partir des images du mouvement des Black Lives Matters. Ce qui se passe aux USA notamment avec les noirs américains et on pourrait rajouter les latinos, les asiatiques, toutes les minorités ethniques qui sont les premières victimes d’oppression et de violences policières, me touche particulièrement. Je vis ça au quotidien avec ma femme qui est noire, qui vient du Kenya, immigrée en France et qui subit ce climat raciste ici, c’est un problème sans frontière. Alors quand Get Open m’a passé commande pour travailler sur « Tale of the Tape », je n’ai pas hésité, c’était une façon d’exprimer ma colère.

J’ai voulu inscrire l’histoire de ma famille dans ce combat en filmant ma fille sur la plage, une façon aussi de lui transmettre un héritage : celui des violences certes, mais aussi celui des luttes : comme une lueur d’espoir dans l’avenir de nos enfants.

Kiambu : Les personnes noires ont besoin de soutien, Il y a toujours des personnes qui essayent de nous séparer et de nous diviser, également dans la communauté noire. J’espère que dans le futur, les enfants ne tolèreront plus des personnes racistes, n’accepteront plus d’être méprisées, d’être masochistes ou rejetées. Car ce n’est pas OK. Bien sûr nous vivons dans une société capitaliste qui « se doit » de mettre à terre la masse, mais nous devons trouver des solutions pour plus nous respecter les uns les autres, au delà des valeurs de la loi du marché et du sacro-saint dollar.

Siba : En ce qui nous concerne, le gouvernement attaque sans vergogne les manifestants pacifistes. Des personnes se font tuer en direct à la télé. C’est comme si la vie n’avait plus aucune valeur. La violence policière a atteint un seuil extrême inégalé depuis la nuit des temps. Des policiers en civil style paramilitaires, sans badge, ni voiture identifiable, embarquent des personnes dans des fourgons. Ça me rappelle d’étranges sensations de dictature.

L’originalité du clip est qu’il mélange de la fiction et du documentaire, comment s’est décidé ce choix esthétique et narratif ?

Nicolas Milteau : En m’appuyant sur le texte extrêmement fort de Get Open,

je me suis aperçu qu’il ne suffisait pas d’utiliser les images d’actualités brutes, mais il fallait essayer de les mettre en relation avec celles du cinéma américain, là où s’exprime le mieux la puissance de la représentation de la violence. Car il n’y a pas que la constitution américaine qui favorise l’utilisation des armes à feu, il y a aussi le film policier ou le western qui construisent des héros tout puissant, tel John Wayne qui tire impunément sur des indiens dans The Searchers de John Ford. Autant d’images qui ont certainement contribués à décomplexer ceux qui utilisent des armes au quotidien dans la police ou l’armée. Heureusement dans le clip, Spiderman est du coté des manifestants ! Et aussi pour réfléchir à cette violence, le clip est structuré autour de l’image de l’enfant un peu comme dans un conte traditionnel (une façon aussi de jouer avec le titre du morceau « Tale of the tape », littéralement « Conte de la cassette »). Ici, la petite fille semble prendre conscience de la violence alentour et va fuir vers un chemin d’espoir et de liberté.

L’audace de votre montage se trouve dans le parallélisme historique entre les archives du Ku Klux Klan et la brutalité policière actuelle, comme si c’était une continuité de l’héritage de l’esclavage.

Nicolas Milteau : Je mets en relation des choses qui sont permanentes. Les images de fiction de « Naissance d’une Nation » de D.W. Griffith, l’un des premiers grands films hollywoodiens, sont frappantes. Dès la naissance du cinéma, la violence du Ku Klux Klan envers la communauté noire inscrit l’Histoire de ce pays dans ce spectacle de la violence. Les cavaliers cagoulés racistes d’hier rappellent les suprémacistes blancs d’aujourd’hui qui ont écrasé des manifestants en voiture (la séquence que l’on retrouve à la fin du dernier film de Spike Lee). Et j’ai inclus des illustrations d’esclaves pour montrer que les racines de cette violence sont anciennes.

 Nicolas Milteau

Vos images d’actualités cumulées sont d’une rare violence et construisent un véritable écoeurement, vous insistez sur l’acharnement de la Police sur des personnes racisées, votre regard est implacable.

Nicolas Milteau : j’ai cherché à faire réfléchir, en mélangeant les images d’actualités autour de Georges Floyd à des images subjectives filmées par la police elle-même. On voit par exemple sur le net des images horribles d’une interpellation de ce jeune noir à une station essence pendant 40 minutes. En découvrant tout ça, une grande colère est montée en moi, j’ai compris que les flics s’en sont tirés comme trop fréquemment et si l’on écoute en entier la vidéo, on peut se poser à juste titre des questions sur la justice américaine.

Le clip montre des arrestations violentes de toute époque (comme celle de Rodney King à Los Angeles en 1991) pour illustrer la continuité de ce racisme d’Etat.

Kiambu : Malheureusement beaucoup de personnes de gauche veulent oublier que la race existe et que nous ne devrions pas célébrer nos différences pour éradiquer le racisme. Malheureusement les blancs libéraux ne veulent pas admettre qu’ils font partie du problème et rejettent le constat implacable de ce racisme envers les noirs. Ils se disent progressistes mais refusent d’admettre qu’ils profitent d’un privilège blanc (White Privilege), mais si vous ne vous positionnez pas chaque jour contre le racisme, vous tirez forcément profit de cette injustice envers les noirs en tant que personne blanche.

Vous faites également une passerelle avec le comité Adama Traoré en France ?

Nicolas Milteau : Oui exactement, c’était important d’élargir. Les violences policières existent partout. Les énormes mobilisations en France que l’on n’avait pas vues depuis très longtemps résonnent avec l’élan citoyen impressionnant des USA. Assa Traoré a lancé un mouvement inarrêtable et magnifique, c’était important que cela apparaisse. J’ai également inclus des images de Londres, Berlin, de Mexico. En Syrie, un graffeur a peint le portrait de Georges Floyd dans la rue. J’ai mélangé tout ça, pour sortir du contexte américain, ouvrir aux autres pays, ouvrir à des résistances internationales contre les oppressions et la brutalité policière.

Siba : Toute cette jeunesse dans la rue aux States ou en France apporte de l’espoir. Ici, cela fait quatre mois qu’ils n’ont cessé de marcher pour protester. Cela a commencé par des émeutes (que je ne cautionne pas personnellement) mais cela a débouché quelques jours plus tard par des manifestations pacifistes magnifiques. Cette jeunesse sent que c’est le moment pour imposer un changement. Mais il a fallu qu’un afro-américain se fasse tuer par un policier véreux quasiment en direct à la TV…

C’est un clip qui prend à la gorge en effet. Comment définir le style de GET OPEN ?

Nicolas Milteau : J’aime beaucoup votre musique, vos productions samplées à l’ancienne et vos textes sont d’une grande puissance. J’apprécie ce trio pour leur écriture et leur flow à trois, l’effet groupe, on a plus vraiment de groupes d’ailleurs, l’ensemble fonctionne parfaitement. « Tale of the Tape » montre leur capacité à saisir le climat politique de façon lucide, cinglante et poétique. Ce texte est très fort avec une musique énergique, mystérieuse, rageuse. Ça sonne à mes oreilles comme un futur classique du hip hop conscient. On sent aussi une grande dignité dans leur écriture, j’ai voulu illustrer ça dans les choix du mouvement des BLM, le peuple s’est soulevé et se bat pour sa dignité.

Siba : « Tale of the Tape » est une expression utilisée quand les choses sont claires, te frappent en pleine face, et c’est ce qui arrive maintenant devant nos yeux et c’est planétaire.

Kiambu : Notre album s’intitule « Front and center », cela veut dire que l’on est prêt à parler en notre nom, on assume nos voix et on est prêts à aller au combat. C’est le devoir de Get Open d’exprimer notre vérité. Le problème est que nous avons perdu le sens de la perspective. Trop peu de rappeurs veulent parler de politique. J’ai vu quelques rappeurs qui s’y ont essayé dans le sillon du Black Lives Matter, mais honnêtement la plupart des personnes noires que je connais ont toutes été affectées négativement par la brutalité policière.

Le rap américain n’ose pas assez se positionner, préférant vendre un mode de vie de gangsters, faisant l’apologie de la violence, l’ignorance et un comportement qui va t’envoyer direct en prison.

Siba : Le Hip Hop a vu disparaître, à la fin des années 90, sa branche politisée. Mais heureusement des groupes continuent de faire passer le message comme les Roots, Mos Def, Common, Talib Kweli, Kendrick Lamar etc. L’industrie du disque a fait disparaître ces groupes qui étaient des leaders pour la jeunesse américaine. L’industrie se contrefout de la conscience politique de Public Enemy ou de KRS One. Ça serait trop dangereux même de propager des messages de conscience dans les ghettos, différents points de vue sur l’American Dream. Nous, on reprend le Mic’, on reprend le flambeau de cette culture là. On est pas la pour la gloire ou la thune. On se devait de dire sans filtre ce qui se passe dans ce putain de pays et ce qui est fort avec le clip de Nicolas, c’est que l’on détourne la propagande de Fox News, on inverse le regard et on crée une nouvelle culture, la nôtre.

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