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Culte ! (Pascal Tessaud) : Les cœurs verts

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C.E.O HELL SINKY, author, journalist, documentary

Rares sont les films de banlieue qui conservent à mes yeux une authenticité. Un film français me reste en tête comme un phare “Les cœurs verts” d’Edouard LUNTZ réalisé en 1966 dans les Cités dortoirs de Nanterre. Ce film indépendant est une pépite, un petit chef d’oeuvre méconnu qui n’a rien à envier au talent de Martin Scorsese de “Mean Streets”, de Spike Lee de “Do the Right Thing” ou d’ “Accatone” de Pier Paolo Pasolini. Il relate de façon âpre le phénomène de bandes de banlieue qu’étaient des blousons noirs, issus du monde prolétaire.

Perfectos, bananes, santiags, chaînes de vélo et schlass, le look de ces cailleras de “la Zone” est celui d’une jeunesse en révolte contre le monde du travail. Zim et Jean Pierre se rencontrent en prison. Il sortent enfin. Ils galèrent sur des terrains vagues de Nanterre, trafiquent des motos, sortent en bande. Une scène culte m’a particulièrement marqué. La petit bande arrive dans un bal populaire. L’attraction est sexuelle. De nombreuses femmes dansent sur du Serge Gainsbourg au milieu de la piste. “Un Apache” tente une approche vers une jeune femme, manque de bol “un versaillais” s’interpose, c’est sa “gonzesse”. Les looks s’opposent, coupes de cheveux soignée, habits chics de dandy, souliers brillants, mentons arrogants.

Les Zonards ne sont pas les bienvenus ici. Et là, le film dérape, on s’éloigne de West Side Story. Les Blousons noirs commencent à mettre une pression aux “Versaillais”. Une baston générale explose. Les coups semblent réels, La caméra bouge, on ne sait pas si le réalisateur contrôle ses apprentis acteurs qui se déchaînent littéralement sur la piste. La frontière entre fiction et documentaire disparaît. On ne se sait plus si les mecs se cognent pour de bon, on sort du confort du cinéma et on se prend en pleine gueule la rage et la haine de ces banlieusards aux gueules cassées envers la bourgeoisie.

Cette violence sans filtre, cette haine explosent sur grand écran et l’on sent le réalisateur Edouard Luntz complice, en plein kiff de brutaliser ces petits minets affrétés dans un film de cinéma. Les femmes semblent véritablement prises de panique et s’éloignent du centre pour éviter les coups. C’est l’une des séquences les plus jouissives du cinéma français qui préfigure la fureur de Robert De Niro et Harvey Keitel dans “Means streets” (1974). Cette haine de Classe sociale, ce rapport aux corps n’est pas habituel dans le cinéma français de l’époque. Edouard Luntz filme les prolos de banlieue de façon quasi documentaire, on sent chez lui de la bienveillance, de la tendresse. Il a pris des mecs de la rue pour jouer plus au moins leurs propres rôles.

Il y a une authenticité, un phrasé ouvrier si touchant, si juste. Personne ne fait ça en France en 1966. Edouard Luntz est un franc-tireur radical. L’enfant du néoréalisme italien qui avait déjà filmé avec poésie la Zone dans un court métrage sublime  “les enfants des courants d’air” (1959) qui montre la vie des enfants des Bidonvilles d’Aubervilliers, qui obtient le Prix Jean Vigo. Edouard Luntz a continué dans sa veine politique avec des longs métrages, après une sélection officielle au Festival de Cannes et une expérience à Hollywood, il a été honteusement oublié, et a tristement fini sa vie dans un état de misère absolue. Un grand film, un grand bonhomme. Le film est réédité en DVD chez René Chateau. Un classique indispensable pour tous les amoureux d’un cinéma qui filme le Peuple, la rue avec une honnêteté humaniste.

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